- Spoiler:
on s’arrange pour pas les laisser crever et on se dit que mission accomplie
Je sais pas pourquoi ça m'a fait éclater de rire cette phrase, peut-être parce que c'est super cinglant et cru, ça m'a bien plu.
C'est marrant parce que s'il fallait affilier cette chambre d'hôpital on pourrait dire que ça ressemble à la fosse au lion, lion au singulier. Celui qui a été retiré du reste du groupe, peut-être parce qu'il a croqué dans la tête de son dompteur, qu'il a rugi sur le public ou bien parce qu'il refusait tout simplement de tuer sa cible.
En tant que lion apprivoisé, vous devez savoir que Will aurait préféré tuer son dresseur plutôt que celui qui le regarde.
Ceux qui regardent... Ils sont idiots, ça ne fait pas un pli. Mais Will aurait pu être autre part que dans la fosse. Il aurait pu être resté là-bas dans la savane, à se coucher devant la crête d'un soleil frémissant, au milieu d'un dégradé de rouge orangé.
Et il a beau avoir regardé par la fenêtre de sa chambre Will, on ne voit aucun soleil brûler de ce côté-là du bâtiment. À croire qu'ils ont fait exprès de le laisser dans l'ombre.
Vous voyez cette fille aux cheveux bleus qui a l'air d'avoir la face couverte d'une cire permanente, plateau chromé à la main, eh bien elle ressemble à ce nettoyeur dépité de la cage au fauve isolé.
Nettoyeur qui tremble, certes, mais surtout qui vient d'arriver et qu'on a envoyé faire le sale boulot parce que de toute façon, il ne s'en plaindra pas. Ou du moins, pas ouvertement.
C'est dur de faire confiance aux gens. C'est encore plus dur de faire confiance à ceux qui ne disent pas la vérité d'abord. Qui se contiennent. Qui essaient de maintenir une bonne gueule en place. Will, il a compris, avec le temps, que rien ne peut être sincèrement beau sans la moindre blessure.
- C'est juste qu'ils veulent pas venir ici.
Et c'est pas plus mal. Lui, il veut pas que les blouses blanches viennent non plus. C'est une haine réciproque.
Au fond de sa grotte immaculée, il se terre. Un lit imbibé de ses plaies, que nettoyeur vient changer.
Mais fauve se refuse de bouger, évidemment, sa lassitude pèse dix tonnes contre les draps souillés.
Pendant un instant, il ferme les yeux. Peut-être est-ce la blancheur éclatante du carrelage. Ou bien simplement un moyen de reprendre son souffle. Il a la fatigue cramponnée aux paupières. La tignasse emmêlée et indomptable. À croire qu'aucune brosse n'est jamais passée dedans. Ce qui à l'époque servait de peigne étaient les doigts de maman repliés en râteau, juste avant d'aller à l'école.
Capable de quoi ? Il comprend plus ou moins qu'elle lui demande de coopérer pour changer tout ce merdier. Son merdier. Il est pas tombé dans ce lit tout seul, Burgess. C'est qu'un combat l'a fait atterrir ici.
Sans répondre, il se redresse, avec une lenteur insoutenable. Une lenteur de bête dont on ne sait pas trop à quel moment elle va faire jaillir sa mâchoire pour nous bouffer.
Ce moment ne vient jamais.
Il s'est redressé assis, au bord du lit. Pieds nus qui touchent le sol froid.
Peut-être qu'au moment de défaire ce bandage imprégné de sang, l'infirmière ne le regarde pas. Par peur de se foirer, sans doute. Ou parce qu'elle se dit que si elle le regarde à ce moment précis, ce sera déjà trop.
Mais si elle avait regardé vraiment, elle aurait vu que Will suit attentivement ses gestes depuis le début.
Il observe les mains féminines s'agiter autour de son avant-bras, comme s'il suivait le spectacle d'un habile couturier autour de sa dernière parure.
Dans la fosse au lion solitaire, fauve et nettoyeur ont peur l'un de l'autre. Et à la toute fin, ils se rendent compte qu'en réalité, ils avaient surtout peur d'eux-mêmes.
- C'est beau comme couleur. On dirait un peu la mer.
Sa contemplation des crins bleutés s'achève quand elle lui demande s'il peut se lever. Avec cette prise de distance très professionnelle.
Quelque part, il sent une pointe de déception couler en lui.
Mais il se lève. Il fait cet effort qu'il n'aurait peut-être pas fait autrement.
Un pas devant l'autre. Comme si c'était sa première marche.
Forcément que le mouvement le rappelle à ses contusions. Les ecchymoses qui pulsent dans une douleur sourde autour de ses os. Un appel à faire sortir tout ce qui se trame sous cette peau plus violette que blanche.
L'infirmière change la literie dans un froissement de draps régulier. Presque un peu apaisant.
Est-ce qu'elle se dépêche de le faire ? Pour pouvoir quitter la fosse le plus rapidement possible et aller raconter son exploit à ses semblables.
- Toi aussi, je te fais peur ? Ils t'ont raconté des choses sur moi.