le soleil est à son décevant zénith dans la ville des rêves (l'hiver lui a coupé les ailes) mais la louve n'en a que faire, embourbée comme elle est dans la nuit du corps et du cœur depuis déjà quelques lunes.
elle avait fait l'effort aujourd'hui pourtant, ou avait prétendu le faire ; s'était habillée, s'était traînée jusqu'au qg, l'humeur mauvaise et la moue dédaigneuse (elle se prenait pour les rois et les reines qu'elle servait et méprisait autrefois), et était partie une heure à peine après être arrivée, prenant pour prétexte l'incompétence de ses subordonnés (
jusqu'ici, ils avaient été sa famille ; mais les rois n'ont que faire des sentiments plus grands que leur royaume) quand c'était elle qui était mise en tort.
elle avait eu l'excuse qu'il lui fallait pour rentrer à nouveau dans sa tanière (chambre d'hôtel blanche resplendissante d'inhumanité) et s'enfoncer dans un rêve qu'elle ne quittait presque plus jamais, et toujours à contrecœur. pour cela, elle avait pris la pilule du rêve comme d'autres auraient englouti leur repas du soir ; elle avait équipé son dream connect comme d'autres auraient enfilé leurs pantoufles.
il faut dire que daria entrait dans ses rêves comme d'autres rentrent chez eux : elle se jetait sur son lit toute habillée, le souffle court, les mains pleines de rien et un
enfin au bord des lèvres.
comme toujours, elle arrive alors dans ce salon qu'elle connaît si bien, si bien qu'elle ne le regarde plus, si pressée qu'elle est de se perdre ailleurs. cela fait déjà longtemps, longtemps qu'elle ne prend plus la peine de passer un doigt sur les commodes sombres, y enlevant la poussière le long d'une fine ligne ; longtemps, longtemps qu'elle ne s'attarde plus sur les photos rendues anonymes ; longtemps, longtemps aussi, qu'elle ne feint plus de jeter un œil par la fenêtre, dans cette nuit carmin qui pèse sur la plaine.
non, l'émerveillement, ou plutôt la fascination respectueuse, la reconnaissance méfiante des lieux ont depuis de nombreux rêves laissé la place à un empressement mortifère, à une agitation fiévreuse, qui la fait bondir hors du fauteuil de son père dans lequel elle arrive toujours, et qui l'amène si vite à s'échapper par l'unique porte du salon, celle qui mène au rêve à proprement parler.
oh, et quand elle passe cette porte, arrive dans le rêve,
dans cet espace de pure création !, quelle jouissance ressent-elle alors ! enfin, elle se trouve capable de créer, elle qui n'a fait que détruire ; enfin, elle se retrouve capable de parler, d'espérer, d'attendre avec joie, elle qui pense n'attendre plus rien.
alors, comme souvent, elle se balade, dans des rues qu'elle fait apparaître au cours de sa promenade, des rues qu'elle peuple de visages du passé, qu'il lui fait tant plaisir de revoir, et elle s'abandonne à cette marche coupable, insensé, reflet de ses échecs, jusqu'au moment où elle se mettra à courir derrière le fantôme de trop, en l'implorant de s'arrêter (
comme à chaque fois).
mais pour l'instant, elle savoure cette balade, qu'elle compte bien faire durer jusqu'au bout de la nuit, ou du jour, ou de la vie,
peu importe.
mais quelque chose ne va pas, et cela ne vient pas d'elle. un frisson invisible parcourt la foule, une vaguelette secoue le ciel bleu et froid.
« qui est là ? »
elle tonne alors.