Il y a les coups qui pleuvent. Il y a les insultes qui fusent. Les coups de pieds qui la font tomber au sol, dans un couloir déserté. Les rires moqueurs de filles superficielles. Les garçons qui obéissent docilement pour leur plaire. Il y a tout ça. Tout ce qu'elle déteste. L'école, elle déteste. Elle ne veut pas être ici. Pourquoi c'est toujours elle qui est prise pour cible ? C'est si amusant à leurs yeux, de s'en prendre à une adolescente abandonnée par les autres ? Elle les déteste. Autant ceux qui agissent que ceux qui ne font rien.
April est si faible, si frêle. Son regard fixe ses genoux égratignés, ne se lève pas plus haut pour ne pas les provoquer. Si elle ne fait rien, ça va passer. Si elle ne dit rien, ils finiront par l'oublier. C'est toujours la même résignation. Chaque année, le même raisonnement. Et chaque année, la boucle continue.
C'est de sa faute. Qu'ils aiment lui rappeler.
A cause de ses cheveux châtains si fins et insipides. A cause de ses yeux bridés rappelant ses origines. A cause de son corps de moustique. C'est elle qui le cherche selon leurs dires. April, elle ne pleure pas parce qu'elle sait que ce serait leur donner matière à continuer. Alors elle endure, jour après jour, nuit après nuit sentant la corde de sa vie qui se tend davantage, prête à se rompre et...
Un jour, les coups infligés ne la visent plus. Un jour, elle les voit qui sont blessés. Un jour, la justice a frappé et elle pense être sauvée. Cependant, ce n'est qu'une pensée éphémère. Il y a de la rancune dans leur regard, le mot vengeance employé, le col de son chemisier agrippé et tiré vers le haut, jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus le sol. Au fond, ça l'effraie. D'aspect, elle demeure une poupée.
A demi-mot, April entend un prénom. Une phrase qui indique qui est à l'origine de leurs blessures. Elle. Et lui. Et alors ? Ne l'ont-ils pas mérité ? Bande d'hypocrites.
- Bien fait pour vous.
Crache-t-elle, de son air intouchable. Ses lèvres s'étirent dans un semblant de sourire, arrogant. Un sourire qui disparaît bien vite, un poing rencontre sa joue, elle est sonnée, glisse contre le mur et émet une plainte. La sonnerie retentit, ils s'en vont, elle aussi. Pas dans la même direction, April se rend à l'infirmerie. Les explications n'ont pas besoin d'être données, l'adulte ferme les yeux comme toujours. C'est plus facile de ne pas voir les problèmes même quand ils sautent aux yeux.
Les soins donnés, l'infirmière s'absente pour aller prévenir le professeur. Elle leur demande de ne pas bouger, de ne pas causer de problèmes. A cet instant, April tourne le regard vers l'autre lit où est assis quelqu'un. Amoché, blessé. Ce qui l'interpelle, c'est sa silhouette un peu familière. Tout le monde le connaît, ce garçon violent et brutal qui frappe tout le monde sans réfléchir. Les rumeurs sont les mêmes. Les rumeurs, elle s'en fiche. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'il est celui dont ses harceleurs ont peur. Il est celui envers qui, elle se sent redevable.
- Wi... William je crois...? ...
April chuchote, consciente que sa voix est déplaisante. Un peu trop morne, un peu trop aiguë. Son regard émeraude se cache derrière les mèches de ses cheveux plats. Un peu comme si elle se demandait, si elle avait le droit d'exister. Si elle avait le droit, de lui parler.
- Frapper ou être frappée... Ça ne changera rien. Ça ne prendra jamais fin.
April, aux ecchymoses sur le visage, les bras, les jambes, le corps entier. April qui ne cherche pas à lutter, s'est habituée à subir. April qui ose lever les yeux, première fois depuis longtemps, vers celui à côté d'elle. Elle n'en a pas peur, parce qu'il ne lui a rien fait. Il n'est pas à l'origine de sa peine. Loin de là.
- Merci de m'avoir aidée.