Elle ne savait plus trop c’était la combientième fois que ça arrivait, encore et encore, la même routine habituelle, ouvrir la porte, aller regarder la boîte aux lettres, et y trouver quelque chose qui ne lui appartient pas.
Ça a commencé avec un colis,
la bonne adresse
pas le bon numéro d’appart mais tu te dis que ce sont des choses qui arrivent
(t’avais pris la peine d’abréger ton nom, c’était plus simple)
et pas du tout le bon contenu
(c’est qu’entre de l’huile à moteur et des boucles d’oreilles y’avait bien une marge).

Des objets dont t’avais aucune idée à quoi ça pouvait bien servir, et que tu n’avais certainement pas commandé,
pendant que tes propres commandes elles semblaient disparues,
malgré toutes les notifications livrées.
Ça l’agaçait, Polina. C’est qu’elle en avait rien à faire de ces articles qui traînent dans un coin de son appartement, à ne pas trop savoir comment en disposer.
Ça ne t’était pas venu à l’esprit d’essayer de les rendre au bon propriétaire,
ou du moins, pas immédiatement, après tout, ce n’est pas de ta faute à toi si ça se retrouve chez toi, et t’as pas vraiment une tête à faire le tour du bloc pour ça
(t’es pas gentille, tu ne rends pas service, t’es égoïste et embêtante, il y a des choses qui ne changent pas et ne changeront jamais).

Mais elle a bien fini par le savoir, Polina,
à qui ça appartenait
(Polly c’est pas exactement comme Poli)
et c’est difficile de l’ignorer lorsqu’elle habite juste à côté.

Alors, plus par exaspération réelle que par envie d’aider sa prochaine
(puis surtout, le désir de ravoir ce qui t’es dû)
elle s’encombre des enveloppes qui traînent, des boîtes qui prennent trop de place,
tant pis si certaines ont déjà été défoncées par curiosité,
(sans que tu aies rien touché,
t’es peut-être mauvaise mais t’es pas une voleuse)

Elle cogne et elle attend, et elle se dit que
si ça ne répond pas, tant pis elle aura
manqué sa chance
et puis tu te débarrasseras de tout ça en même temps que les poubelles
(ce serait avec à peine un peu plus de culpabilité que n’en ressens à l’habitude)
Mais faut croire qu’on lui donne finalement une chance d’être un peu aidante
(c’est le minimum de la décence, mais c’est déjà quelque chose)

Sans même se présenter, plantée là devant la porte et les bras pleins Je crois que c’est à vous tout ça, ça s’est retrouvé chez moi par erreur. Collé sur les lèvres un sourire artificiel qui n’efface définitivement pas son air agacé. J’espère qu’il n’y avait rien de trop urgent là-dedans.
(Mais tu n’es pas spécialement désolée d'avoir pris ton temps)

J’habite l’appartement à côté, et vos trucs se retrouvent tout le temps chez moi, enfin je sais que c’est pas de votre faute si le livreur est trop con pour lire un nom et une adresse comme il faut, mais c’est embêtant quand même.

Tu marches la fine ligne entre le ton accusateur et celui qui se veut sympathique, tu laisses toujours aux autres le soin de te juger,
comme ils aiment si bien le faire.

Elle est toujours plantée là, devant la porte, les bras pleins de paquets en tout genre,
et elle découvre celle qu’elle a pour voisine (t’as jamais été le genre à trop socialiser,
le genre à faire semblant que tu ne vois pas les autres,
c’est plus simple comme ça, car t’en as,
un peu marre parfois du small talk et des paroles vides)

Alors d’un côté, c’est un peu un soulagement de se faire accueillir comme ça,
un juron en seule salutation (c’est peut-être déjà mieux que l’absence totale de ton côté),
le fait de savoir que, pour une fois y’a pas à faire semblant.

Elle la suit des yeux, la voit disparaître dans l’appartement et revenir avec plus de cartons de son côté,
au moins ceci explique cela, t’allais finalement récupérer tes affaires
(et tu remarques que vous êtes deux à être du genre curieuse).

On dirait oui… Je te cacherai pas qu'en venait cogner à ta porte j’espérais bien que mes trucs se retrouvent ici.

Elle lâche le vouvoiement pour le remplacer par le tu,
et elle ne prend pas la peine de cacher ses intentions, après tout c’est sans doute mieux
de ne pas faire semblant qu’elle est le genre aidante, faudrait pas qu’on vienne lui demander des services plus tard ou quelque chose comme ça,
elle aime bien dire qu’elle aime aider les autres, Polina, mais c’est pour de faux, pour bien paraître.

Alors elle fait son entrée dans l’appartement, et le désordre la prend un peu de court mais elle ne fait pas de commentaires,
(après tout toi, si tu ranges le tien, c’est bien juste pour te donner l’impression d’avoir le contrôle)
puis elle avait aussi maintenant sa réponse quant à l’origine de la musique qui filtrait parfois à travers tes murs à toutes sortes d’heures
elle lâche tout de même un coup d’oeil autour, parce que c’est toujours un peu intéressant,
de voir comment les autres vivent, voir comment on aménage le même espace modeste,
(et t’as toujours cette pensée, Polina, cette envie de savoir comment font les autres, de savoir ta place à toi elle est où dans tout ça).

Dépose les paquets sur la table et attends qu’on lui ramène ce qui lui appartient,
et peut-être bien qu’il y avait encore plus que ce à quoi elle s’attendait
(c’est que tu commandes beaucoup,
un peu trop impulsive et c’est si facile lorsqu’on ne regarde pas l’argent partir)

Encore d’autres…? Je devrais peut-être me calmer sur les achats impulsifs, c’est presque gênant là.

Parce qu’acheter c’est une chose,
mais quand ça se retrouve chez la voisine c’en est une autre, surtout quand ladite voisine s’est également plu à éventrer le tout
(et t’es bien contente qu’il n’y ait rien de trop embarrassant, rien que des trucs, sans doute inutiles et très superficiels).

Au moins on dirait qu’on n’a rien trouvé d’intéressant à se voler l’une l’autre, c’est déjà ça.

Avec un haussement d’épaule, car c’est pas une attaque, elle est tout aussi coupable qu’elle à vrai dire, et d’un côté ça aussi ça rassure, ce sentiment qu’au fond on en a tous cet intérêt et cette indiscrétion,
à laquelle on finit par se laisser aller.
(c’est
normal, Polina, regarde, c’est ce que les autres font aussi)

Elle inspecte vaguement la pile de cartons et enveloppes en tout genre, et
bien franchement elle se souvient pas de tout ce qu’elle a bien pu commander, Polina,
mais à l’oeil le compte doit y être, et puis
si tu ne t’en souviens pas c’est que ce n’est pas si important.

Okay, je crois que tout y est… Merci de ne pas avoir tout jeté aux ordures, d’ailleurs.
Tant pis si ça révèle un peu trop tes propres intentions pas si aimables au passage, au final c’est un remerciement et ça compte.

Au final, c’était peut-être pas si mal, comme situation.
Elle n’était pas tombée sur le genre de voisine totalement inaccessible qui n’ouvre même pas la porte,
(si la situation avait été inversée, tu te demande si tu aurais
sorti tes faux-airs saveur saccharine
ou si t’aurais même pas fait l’effort)
elle avait récupéré ses trucs
même si elle pensait déjà aux multiples allers-retours que ça allait lui prendre pour tout ramener chez elle
(et puis
même si c’était pas le but, t’as peut-être fait un truc bien au final
et ça ça compte pour quelque chose, non ?)

Avec tout le temps que t’as eu, si t’avais voulu les abîmer tu l’aurais déjà fait j’en suis sûre. Et ça nous fait un point en commun alors.

Pas que c’était nécessairement
super rare de convertir l’ennui en lèche vitrine puis en transactions frivoles
où peut-être l’anticipation de la réception était plus gratifiante en soi
mais c’est que
(t’es là, Polina,
et peut-être que tu te sens d’humeur à échanger des banalités,
ce genre de situation où t’as pas complètement l’impression de marcher sur des oeufs)

Décevant tu dis… Enfin c’est rien d’extraordinaire, quoi, surtout si on compare à ce que toi t’achètes, parce que j’avoue c’est pas le genre de choses que j’achète.

Elle a jeté un bon coup d’oeil au contenu des boîtes,
et elle avait rapidement compris que ce n’était rien qui pouvait l’intéresser elle,
ou du moins, rien qui lui serait bien utile
quelques trucs même qu’elle n’arrivait pas à identifier,
mais ce serait de mentir
(et aujourd’hui elle ne ment pas)
que de dire qu’elle n’avait pas envie d’en savoir un peu plus maintenant qu’elle en voyait la propriétaire

Tu fais quoi avec tout ça ?
La curiosité est piquée, et elle ne s’empêche pas de poser la question,
(tu saurais pas dire, Polina,
mais y’a quelque chose qui te mets à l’aise, pour une fois
t’as comme envie d’en savoir un peu plus
sur son univers à la trame sonore assourdissante)

C’est noté, pas de remerciements, alors. De toute façon, c’est un peu la faute du livreur. Polina et Polly c’est pas si ressemblant que ça, non?

Parce qu’en plus d’avoir inspecté le contenu des paquets, elle avait
aussi scruté les étiquettes d’adresse, et si parfois c’était à s’y méprendre,
sur quelques papiers y’avait bien le nom complet de as voisine qui y apparaissait aussi.

Tu penses que ça va continuer d’arriver ? Parce que à ce rythme on va devoir se donner une date à tous les mois pour venir échanger le courrier perdu.

Quoiqu’au fond, ça ne la dérangerait sûrement pas tant que ça,
après tout Polly elle est juste à côté,
et elle l’intrigue,
à se demander comment elle a vécu là tout ce temps,
pas sans la remarquer non car, elle se remarque bien, Polly,
mais sans jamais réellement l’avoir vue,
(et il se trouve que peut-être que t’as pas juste envie d’avoir des ennemis, Polina)