Enième songe étrange, cette nuit. Et, une fois de plus, l’impossibilité de ne m’en rappeler ne serait-ce que d’une once. Sans que je ne sache trop pourquoi, ces derniers mois, je peux sentir mes rêves se désagréger et me laisser une impression de malaise au réveil. L’impression de se rapprocher de quelque chose, mais d’en être si loin à la fois. Comme si l’on parcourait un long chemin, pour finalement se retrouver devant une porte fermée à double tour. Un coffre-fort que je connaissais particulièrement bien, depuis longtemps. Le garde-fou de mes plus jeunes années volées, toujours intact et aussi solide que jamais à mon plus grand désarroi.


Je m’étais déjà intéressée par le passé à l’onirisme, dans l’espoir de trouver une piste qui me permettrai de récupérer cette partie de moi arrachée. C’est pour cela qu’aujourd’hui, après cette nouvelle nuitée m’ayant glissé sous les doigts que je me suis décidée d’aller acheter la nouvelle fureur technologique : un Dream Connect. Peut-être que pouvoir expérimenter les rêves des autres, pouvoir échanger avec de nouvelles personnes, je pourrais me trouver moi-même ? C’était avec cet espoir combattant mon esprit dubitatif que je rentrais chez moi, serrant dans mes bras la boîte contenant l’appareil. Peut-être serait-elle de Pandore, peut-être pas. Une certaine appréhension émergea, ne quittant aucun de mes pas jusqu’à ma chambre.


La fatigue accumulée ces derniers temps, entre le travail, les perturbations nocturnes et ces émotions négatives ne m’aidaient pas à tout comprendre en lisant la notice. En temps normal, je n’avais que très peu, pour ne pas dire aucun, intérêt à tout ce qui touchait à la dimension sociale. Réseaux, applications, je n’étais tout simplement pas la cible. Et, en toute franchise, ce n’étaient pas les lettres apposées sur le papier que je lisais en ce moment-même qui allait changer l’immuable. Enfin, il fallait quand même que je configure cet appareil … D’un œil distrait par la télévision, parlant d’une nouvelle drogue dérivée de la pilule des rêves, sujet qui m’interpellait bien plus que le Dream Connect, je finissais, du moins je pense, de tout préparer pour cette nuit.


Et lorsque vint le moment de fermer les yeux, et pour certain d’entrer dans une seconde vie remplaçant une réalité évanescente, tout était prêt. La mention d’un « white space » me revint en tête, et je supposais que ce serait le lieu, apparemment personnalisé en fonction de l’hôte, qui m’accueillerait. Sans attendre quoi que ce soit, j’attendis quelques minutes que Morphée ne m’emporte. Et lorsque mes paupières se rouvrirent, un certain spectacle à me couper le souffle se dessinait sous mes yeux. Un ciel parsemé d’étoiles, tel un véritable océan, sans limites ni horizon, veillant sur un immense arbre à l’écorce blanche et au feuillage d’un bleu éclatant, flottant sur une île au-dessus de ce qu’il semblait être les restes d’une planète émiettée. Mes yeux se posèrent sur le tapis d’herbes d’or que le sol revêtissait. Quelques constructions d’un blanc immaculé étaient disposées çà et là, certaines créant des ponts rejoignant quelques plus petites îles entre elles.


Je relevais les mains, face à mon visage, les examinant, et repérant ma chevelure bien plus longue que d’habitude, mais toujours de la même teinte. Ah, oui, je venais de me souvenir de ce détail concernant l’alter ego … Il semblerait même que sous mon poignet gauche, un tatouage d’Ouroboros s’était dessiné. Tournant un peu sur moi-même pour observer d’autres détails éventuels, je pus noter que chaque pas que je faisais créait des ondes au sol, comme si entre le sol et mes pieds se trouvait un voile aqueux. Fait plus fascinant encore, des papillons sphynx semblaient s’échapper en même temps.


Une fois l’inspection terminée, je cherchais, un peu désorientée, une direction, un signe, quoi que ce soit qui puisse m’aiguiller. C’est alors que je vis une silhouette sur une île voisine,apparemment humanoïde. Etait-ce normal ? Il me semblait que les « white space »  étaient censés être fermés aux autres par défaut, non ? Avais-je fait une erreur dans la préparation de mon Dream Connect ? Ou bien était-ce le fruit de mon subconscient qui avait créé cette silhouette tout comme il avait fabriqué cet endroit ? D’un pas hésitant, me méfiant tout de même d’une potentielle instabilité des lieux ou quoi que ce soit d’autre de dangereux, je me rapprochais d’elle. Au fur et à mesure que la distance se réduisait entre nous, je pouvais en apercevoir quelques détails supplémentaires. Humaine et typée féminine, du moins en apparence. Il semblait cependant que cette hypothétique personne ait l’air au moins aussi perdue que moi. Dans le doute, autant demander. Que pouvait-il m’arriver de pire, de toute façon, dans un rêve ? Mourir, et me réveiller en sursaut ? Haussant un peu ma voix de velours, j’agitais doucement la main, à hauteur de mon épaule, pour attirer son attention.


   « Excusez-moi, êtes-vous le fruit de mon imagination ? »


La question semblerait, très certainement, bien étrange pour qui que ce soit qui provienne de la réalité. Aussi, j’étais pratiquement certaine de savoir si oui ou non, l’humanoïde devant moi avec sa singulière particularité au niveau des mains, était une « vraie » personne, provenant de la réalité.