flashback, 2039

le calme en vient à même fuir les nuits
j'étais habitué maintenant aux jours qui ne font que courir
ça faisait longtemps qu'ils ne soufflaient plus, à tirer le soleil bien trop fort, bien trop vite, comme s'ils voulaient me lancer des défis, me faire une grimace face à une deadline que je ne saurais respecter qu'en trahissant mon sommeil
pourtant je sais : le temps reste toujours le même
c'est moi qui change
et je ne vois même plus quand le char d'hélios va de l'autre côté de la terre
(coincé entre deux papiers, étranglé par une virgule, hypnotisé par des chiffres qu'il faudrait savoir dompter)
(supposément si intelligent, incapable d'accepter l'échec, bien conscient qu'il faudra toujours bien plus que ça)
(le laboratoire trop bruyant, l'appartement trop calme, et lui qui se laisse faire)
(les choses non dites qui s'accumulent, les sentiments qui s'empilent, la vaisselle qui déborde)
(les plantes qui manquent de flétrir, les pâtes qu'il n'arrive plus trop à manger, les miaulements qui font sursauter celui qui n'est plus trop dans la réalité)
chaque jour qui se répète
en pire
ce lui c'est moi et ce n'est pas difficile à voir mais c'est dur de comprendre
comment est-ce qu'on en arrive là ?
incapable même de pleurer, trop fatigué (de cette asthénie qui donne le goût de la poussière aux plus colorées des chansons, qui rend difficile chaque chose auxquelles avant je ne pensais même pas et parfois, je me demande même comment je fais encore pour respirer, pour me lever, pour manger, et toutes les choses que je fais parce qu'il faut les faire)
et quand il n'y a plus rien dans le futur, il reste encore le passé
alors quand je mets le harnais sur tofu, j'imagine les mains chaudes qui attrapent mes doigts
alors quand je marche le long du chemin, j'entends une voix qui m'explique le feuillage des arbres
alors quand je m'éloigne de la ville, j'imagine les vagues sur les rochers
c'est des souvenirs dont je ne suis pas certain, peut-être à moitié inventés, et je ne sais pas ce qui est pire
de devoir imaginer recevoir cette tendresse, ou de ne pas s'en rappeler
il n'y a qu'une chose dont je suis sûr, et c'est bien tout ce qui m'apporte encore un peu de calme
c'est pour ça qu'on sort de chez nous, qu'on prend le métro, qu'on marche dans la nuit, qu'on va là où on a toujours l'habitude d'aller, qu'on s'assoit sur le sol même (trop fatigué) et qu'on en oublie le monde quand on regarde et qu'on se demande, ah
que se passe-t-il donc par là-bas ?
m'avait-on dit vrai ? je sais que ce n'était que pour consoler un gamin qui avait tous les droits d'être triste, mais et si c'était plus que ça ? je n'ai jamais eu de rêves à moi mais parfois j'aimerais pouvoir croire en des choses pour moi. juste pour moi.
je baisse les yeux un instant. tofu demande à monter sur mes genoux en posant délicatement ses pattes sur ma jambe. ah, parfois j'aimerais qu'elle sache parler. je sais bien qu'en réalité je ne voudrais changer rien au monde entre nous deux, mais ça semblerait si simple de ne s'accrocher qu'à un seul être plutôt qu'à devoir dire tout ce qu'on arrive même pas à mettre en mot
elle saute sur mes genoux, s'installe, demande des caresses. la nuit est douce. le ciel est clair. les bois sont calmes. la solitude est autant une bénédiction qu'une malédiction.
est-ce que c'est vrai qu'elles nous écoutent, tu penses ? les étoiles. quelques secondes de silence et qu'elles transmettent tous les messages ? me voilà accroché au passé
sans jamais personne pour m'en sortir