Il émerge doucement, Dima, dans le brouillard du réveil qui dissipe doucement celui du sommeil; il sort de ce genre de sommeil cotonneux, de celui que l’on croit être une simple sieste où l’on somnole en surface pour qu’au final on se laisse calmement sombrer dans le confort sans faire exprès
et pourquoi résister après tout, quand c’est fait si délicatement et agréablement ?
(Ça te prend quelques instants pour retrouver tes repères, cligne de yeux regarde autour et bien vite tu reconnais le capharnaüm qui t’es tant familier; tellement que parfois tu te croirais presque chez toi)Il dormait toujours bien dans le magasin de Nastia, même si ce n’était jamais prévu. Et s’il n’avait pas de difficultés à s’endormir de manière générale, il y avait quelque chose de spécial là, dans le chaos organisé des antiquités, de tous ces objets qui avaient appartenus à d’autres et qui tentaient maintenant de trouver un nouveau toit sous lequel exister,
et ça le fascinait, Dmytro, surtout les boîtes de photos papiers et de vieilles pellicules que Nastia lui mettait de côté, un échantillon de souvenirs appartenant à d’autres
(et au fond t’es un gars terriblement simple, Dima, ça te touche ce genre de trucs, et lorsque tu penses un peu trop longtemps au fait que tous ces gens-là sont leur propre personne avec leur vie entière peut-être déjà vécue et qu’entre tes mains t’as ces instants qu’elles ont choisi d’immortaliser parmi un millier d’autres moments, ça te file un peu le vertige)Puis il y avait surtout
la chaise, dans un coin du magasin plus tranquille mais jamais complètement caché. Particulièrement confortable, presque dangereusement tellement elle incitait au sommeil. Il s’installait là, Dmytro, avec un carnet à la main, pour écrire ou récolter de l’inspiration, mais presque à chaque fois, sans pouvoir s’en empêcher, il s’endormait; parfois pour une courte sieste et parfois des heures durant,
comme aujourd’hui. La nuit déjà tombée, le magasin probablement fermé (et toi, Dima, avec ton air juvénile encore endormi, c’est que t’as de la difficulté à sortir des vapes, le sommeil s’agrippant un peu trop fort à toi, alors ça te prenait plutôt du temps pour te défaire de son emprise)
Il aperçoit les cheveux roux qu’il reconnait bien, Nastia toujours là pour l’accueillir après une énième sieste impromptue, des fois avec une tasse de thé chaude déjà prête pour lui; et puis pour répondre à ses questions posées avec cette voix au ton enveloppé de la brume somnolente qui ne l’a encore pas entièrement quitté. En guise de salutations, le mieux qu’il arrive à formuler, un simple
Oh, Nastia...Il a le réveil indolent, couché sagement contre la chaise presque dans la même position où il se trouvait quelques instants auparavant, juste avant d'ouvrir les yeux pourtant encore pratiquement à moitié clos, il s’extirpe un peu plus des rêveries qui s’évaporent paisiblement.
Mh, dis, j’ai dormi longtemps…?Les mots coulent sur sa langue dans celle qui lui est si familière,
qu’il n’a plus vraiment l’occasion de parler (pas depuis qu’on a coupé les ponts après ton départ, on t’as tout arraché jusqu’aux racines,
alors tu fais de ton mieux pour replanter)
ça lui faisait toujours plaisir, c’est que
ça lui manquait, et parfois les mots sur le papier ne suffisaient plus à combler le vide;
alors il venait là, Dmytro, dans la boutique-havre de paix, qui lui donnait l’impression d’être ailleurs, d’être un peu plus proche de la maison.