Au-delà de la fenêtre est tout un monde.
Elle l'observe de sa vitrine, de sa chaise qui bascule lentement dans un va et vient réconfortant. Le châle sur ses épaules prête à combler la température printanière qui s'immisce dans sa vielle abode. Autour d'elle, une autre galaxie. En contraste des gens qui marchent vite, trop pressés, perdus dans leur train à grande vitesse quotidien, ils ne font plus attention à rien. Y compris aux devantures comme la sienne, cachée par le recoin d'une rue à la légère verdure tombant dans les craquelures des édifices - lierre chancelant, intenable et sauvage. Il parsème l'Homme et s'infiltre hors de contrôle dans une image pourtant méticuleusement millimétrée.
Tout est à sa place.
L'image parfaite sortie d'un tableau.
Et comme les tableaux elle est figée dans le temps.
Au milieu d'antiques dont personne ne veut, que personne ne prend, qui n'attendent qu'une main tendue et la chaleur d'un foyer.
(C'est trop familier pour s'y attarder.)
Sinon on va repenser à des choses, et tourner les tourments en pensées et
(Ca serait dommage, dans une si belle journée.)
Pourtant c'est plus fort qu'elle car c'est le printemps (et ici ce n'est pas synonyme de beau temps) ça rapporte les feuilles mortes aux couleurs cire et crépuscule. Ca promet l'approchée des premières embrassades de la neige. Et c'est la saison la plus dure - l'été enneigé. Ca lui rappelle la maison qui un jour l'eut abritée.
(Est-ce que c'était vraiment une maison ?)
Ou bien un habitat de fortune, une prison ?
(Et dans son coeur c'est la neige toujours qui
L'enlace, la berce, l'embrasse, l'apaise.)
Le myocarde qui hiberne malgré la chaleur des sourires.
Un tableau terne qui semble pourtant éblouir.
(Et derrière il y a la neige qui fond,
et les larmes qui ne coulent plus,
et la tristesse d'un foyer perdu.)
Rien qui ne reviendra jamais,
Et sûrement rien qui ne t'ait jamais réellement aimée.
(Car les gens comme toi sont comme la neige.)
On les malaxe, on les piétine, on y trébuche pour mieux repartir et on la fait fondre - on glisse dessus pour des relations infécondes.)
et c'est le printemps bientôt l'été et
Elle ferme le livre qui repose sur ses jambes comme on ferme le court de l'eau qui anime ses ruminations. L'histoire ne fait plus de sens quand l'esprit est déjà trop plein. Alors elle prend la tasse qui repose sur une coupelle charmante, ornée de délicats dessins. Le thé à la rose parfume doucement la boisson et réchauffe ses lèvres, savourant sa concoction aux fruits d'églantine. C'est d'un regard attendri qu'elle observe la pièce et les étales, les bureaux et les armoires. Un coup d'oeil à l'heure et elle se relève. Il se fait tard, et il semblerait qu'elle soit seule ce soir.
(Mais c'est pas grave.)
Vraiment pas, non.
Ca ne change pas grand chose, quand on se sent seule toute les journées de toutes les saisons.
Mais la voilà, surprise. Quand elle débarrasse la tasse sur sa table dédiée, qu'elle appose avec soin son ouvrage sur le bois, elle entend le carillon, le tintement de la porte. Et elle se dit peut-être que ce n'est qu'une âme égarée, curieuse, qui va flâner dans les rayons sans faire attention à elle mais
C'est ta voix qui est là.
Et c'est marrant parce que c'est un peu comme si tu l'accueillais dans son propre magasin. Elle sent déjà le confort de ta présence réchauffer la pièce alors qu'elle vient à ta rencontre. Avec le même sourire, toujours aussi tendre, toujours aussi aimant.
(Peut-être même un peu plus, pour toi.)
Il y a des gens spéciaux.
(Et ceux qui ne les ont plus, comme vous.)
Mais qui partagent certains idéaux.
Bonsoir, Akira. Ravie de ta visite.Et c'est si sincère.
Même quand tu détournes les yeux elle ne rate rien et (ah) peut-être que c'est ça oui peut-être que tu l'es un peu, comment les gens appellent ça ?
(Malheureux.)
C'est le tissu que tu portes qui sent la tristesse, la lourdeur minime dans le pas et toujours ces yeux qui ne mentent pas.
(Mais elle est là, ce soir.)
Alors peut-être que vous pouvez au moins être malheureux à deux.
Oui. Enfin, plus maintenant que tu es là.Elle fait un pas sur le côté, dévoilant les deux chaises et la table à côté de l'évier. Son petite havre de paix dont tu as déjà la clef.
Qu'est-ce qui t'amène ce soir ?La solitude ou le manque d'affection, de compréhension ? Ou peut-être juste la volonté de se perdre dans les rayons mais quelque chose lui dit qu'elle n'a pas tout à fait raison.
(Pourquoi elle ne saurait pas le dire.)
Mais c'est seulement pour l'instant, elle ne peut pas encore le lire.
(Ca finira par venir.)
Un thé ? J'ai eu un nouvel arrivage de livres, aussi. Tu tombes bien, je voulais te le montrer avant de l'exposer.Car on est un peu moins seul avec les livres.
(Et ce soir, comme dans une poésie, elle sera ton compagnon.)