Perdue,
Kuragari ne sait plus où elle en est, c’est une pensée qui revient à chaque fois, un sentiment qui finit par être constant, une sensation qui lui colle à la peau.
C’est comme si elle n’avait pas sa place, pas d’endroit dans le monde où elle pouvait s’y sentir comme chez elle. De toute façon, elle n’a jamais vraiment su ce que c’était, un vrai chez soi.
Troublée et distraite par ses songes, comme toujours, Kuragari se promène à Sunset Coast sans but, loin du boulot, loin de la maison, là où elle ne devrait pas être normalement. Elle ne sait pas comment elle a fini là, une tentative inespérée pour se changer les idées, mais elles restent toujours dans sa tête, l’accablent et pèsent sur ses épaules toujours un peu plus. Pourtant, ça la pousse aussi, Kuragari, ça la force à avancer. Seulement, elle fuit plus qu’elle n’avance, au final, c’est un peu comme si elle ne faisait que reculer.
Les efforts qu’elle semble réussir à faire, elle sait les réduire en morceaux en un instant. Kuragari saccage tout sur son passage, elle le sait, trop bien, et elle préfère repousser celles et ceux qui essaient de l’approcher. Si elle pensait d’abord s’éloigner pour éviter d’être blessée, ce n’était qu’une illusion pour oublier qu’elle est celle qui empire les choses. C’est plus simple d’en vouloir aux autres, les laisser derrière pour ne pas avoir à affronter la vérité en face.
Elle s’oublie dans les jardins, un endroit bien trop joli pour elle. Elle fait un peu tache ici, Kuragari, elle regarde les fleurs défiler à ses côtés au fur et à mesure qu’elle marche, trop lentement. Kuragari a le cœur lourd, même devant un paysage qui devrait pourtant être si apaisant. Il lui est difficile de réfléchir correctement, ses pensées sont si floues. Peut-être qu’elle aurait mieux fait de rester chez elle, au final.
Un peut-être qui devient une certitude.
Kuragari reconnait une silhouette qui lui est tant familière. Elle est encore dos à elle, il est temps de faire demi-tour, de fuir encore une nouvelle fois. Mais elle n’y arrive pas. Elle reste immobile, la culpabilité est bien trop oppressante pour qu’elle sache réagir assez vite. C’est déjà trop tard, Anastasia tourne déjà la tête, leurs regards se croisent et Kuragari est appelée, d’une telle délicatesse que cela donnerait presque envie d’en pleurer.
Elle ne peut que baisser la tête, elle n’a pas pensé à arborer un masque aujourd’hui, elle n’a pas la force de prétendre quoi que ce soit. Elle a de toute façon tout gâché avec Anastasia, alors à quoi bon ? Elle pensait rester seule, elle aurait préféré l’être aujourd’hui.
Je ne pensais pas te croiser ici, qu’elle lui dit et elle ne peut que soupirer, tristement ; parce qu’elle non plus n’aurait pas cru finir ici, encore moins tomber sur Anastasia aujourd’hui. Elle n’ose plus la regarder dans les yeux, elle ne peut plus faire semblant avec elle. Si seulement elle pouvait l’ignorer, si seulement Anastasia pouvait aussi prétendre, faire semblant de n’être que des inconnues.
Ce serait si simple, mais au lieu de ça elle lui demande comment elle va.
« Je… »
Elle va mal, comme toujours, mais ses réponses ont toujours été des mensonges, si faciles à laisser échapper. Pas aujourd’hui. Elle se sent mal, encore plus quand Anastasia avoue lui avoir manqué. Kuragari relève finalement les yeux, sourcils froncés, ne comprenant pas comment elle pouvait manquer à quelqu’un, surtout après l’avoir laissé.
« Désolée. »
C’est sorti tout seul, et elle en est la première surprise. C’est honnête, trop honnête, elle aurait voulu lui dire qu’elle lui avait manqué aussi, mais elle sait qu’elle n’en a pas le droit. Le silence retombe de nouveau, pendant quelques instants, Kuragari cherche quoi dire, quoi faire. Elle attend, s’attendant à ce qu’Anastasia reproche tout, elle le mérite après tout.
« Est-ce qu’on… pourrait s’asseoir, s’il te plaît ? Je pense que tu as des choses à me dire. »
C’est surtout que Kuragari n’a plus la force de tenir debout, les regrets et les remords qu’elle avait enfoui tout au fond ne font que ressurgir à l’extrême à la vue d’Anastasia, à son sourire qui n’est plus aussi grand que d’habitude, mais pourtant toujours aussi douce avec elle.
Et elle est fatiguée de tout ça, de toutes les erreurs qu’elle a faites et qu’elle continuera de faire, encore. Parce que Kuragari est comme ça et elle ne sait pas comment changer.